morphosis
P r é
a m b u l e
Schématiquement,
il y a deux façons
d’envisager la Musique :
La
première c’est
de dire que la Musique n’existe qu’à travers l’auditeur, lorsqu’elle
est jouée
et écoutée. Ce point de vue est celui qui prévaut à peu près partout
désormais,
en particulier parce qu’il est le seul vraiment compatible avec la
consommation
de masse, le moteur actuel de nos sociétés. Ainsi, la Musique la
meilleure est
celle qui séduit le plus d’auditeurs et qui sera diffusée le plus
largement.
Pour prendre un exemple concret, Michael Jackson est un génie parce
qu’il a
vendu beaucoup plus d’enregistrements et déplacé des foules beaucoup
plus considérables que Pierre Boulez. Leur renommée n’est pas comparable à
l’échelle
de la planète. Cette idéologie – car c’en est bien une, fruit de l'utilitarisme – conduit la Musique a occuper une fonction,
principalement de
divertissement.
Exprimée
brutalement, la conséquence c’est que 99% des systèmes haute fidélité
ne
respectent pas le signal inscrit sur l’enregistrement. Cela paraît
incroyable, mais c'est pourtant exact et scientifiquement vérifiable :
ce qui est produit à la sortie n'est pas une image homothétique du
signal originel.
La
seconde façon
d’envisager la Musique, c’est de dire qu’elle possède une existence
pour et en elle-même,
indépendante du fait qu’elle soit écoutée ou jouée. Elle est un fruit
de
l’esprit humain, de la pensée, et en conséquence son existence commence
à l'instant même où elle est conçue. Ce sont alors les qualités de sa
conception qui vont principalement lui conférer sa valeur. Cette
existence initiale va devenir manifeste pour autrui lorsque l'oeuvre
sera inscrite sur un
support matériel
d’archivage, partition ou enregistrement. Mais la Musique est d’abord
idée,
abstraction.
De
ce
point de
vue, la production de Pierre Boulez, parce que sa conception est
considérablement
plus savante, novatrice et subtile, est plus éminente que celle de Michael Jackson, indépendamment de leur
audience respective. Parions
ici qu’en conséquence elle laissera une trace autrement indélébile dans
l’histoire.
Par
un
intéressant paradoxe – en apparence seulement – cette façon de procéder
qui
paraît le négliger, est la seule façon de satisfaire durablement
l’auditeur. Car ce dernier va, avec le temps, repérer et
mémoriser toutes les petites trahisons et tricheries des systèmes
conçus pour
le séduire et s’en lasser, irrémédiablement. Car le temps
court, celui du désir et de l'émotion instantanés, finit toujours par achopper contre le temps long de
l'apprentissage et de la réflexion.
Certes, à ce stade l'auditeur pourra persister, alimenter de nouveau la grande machine consumériste en changeant périodiquement de système – changer pour que rien ne change, comme l'a dit Lampedusa – ou alors s’engager sur une nouvelle voie, faire enfin confiance à la Musique et découvrir dans un ultime effort d’humilité que, vraiment, la nature se suffit.
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